19.11.12

L'héroïque maréchal Ney


Toute l’armée s’inquiète de l’absence de Ney qui ne nous a toujours pas rejoints. Il y a eu une distribution dont ont été exclus ceux qui étaient sans arme. Et un soldat de notre division qui nous appelait à nous rendre a été tué d’un coup de pistolet par le général Gérard. Pan !

 
Il fait beaucoup moins froid. Peut-être réussirons-nous à quitter la Russie avant les nouvelles offensives de l’hiver russe. Mais nous causons surtout de Ney et du 3e Corps. Ils nous ont remplacés à l’arrière-garde. Nous pourrions être à leur place. Sont-ils retranchés dans Smolensk, tombés aux mains de l’ennemi, morts, ou perdus quelque part dans la neige ? Il y a aussi des soldats d’autres corps qui nous traitent de lâches pour ne pas les avoir attendus…

 20 novembre

 Il se dit que Napoléon a donné l’ordre de fusiller ceux qui quittent les rangs. Je me demande s’il y a encore assez d’hommes dans les rangs pour fusiller ceux qui en sortent…

Ceux qui ont vu Davout à son arrivée à Orsha racontent qu’il était –comme nous – à bout de forces. Qu’il s’est jeté sur un bout de pain. Qu’il a fallu lui donner un mouchoir pour qu’il se nettoie le visage… Toujours pas de nouvelles de Ney. Nous commençons à parler du 3e Corps au passé…
 

21 novembre
 

Depuis que nous avons été alertés par les acclamations annonçant leur retour, la joie s’est répandue de bivouac en bivouac… Et nous rivalisons en commentaires élogieux sur un exploit digne d’entrer dans l’Histoire, peut-être le plus beau fait d’armes de cette campagne de Russie. De quoi je parle ? De Ney qui a réussi à rallier l’armée. Lui et ses hommes se sont retrouvés encerclés par tous nos ennemis rassemblés. Et ils ont réussi à les berner et à s’échapper. Je vais aux nouvelles et je vous raconte le comment…

Les rescapés du 3e Corps nous ont dit comment après avoir quitté Smolensk, ils s’étaient retrouvés sur la neige rouge de sang du champ de bataille de Krasnoë. Qu’ils avaient cru l’armée perdue ou toute entière vaincue. Que Koutousov avait envoyé à Ney un émissaire pour lui demander de se rendre. Et que le Maréchal, sans barguigner, l’avait fait prisonnier… Je crois qu’il va me falloir plusieurs veillées pour tout vous raconter…

 
22 novembre

 Nous revoilà à l’arrière-garde. Mais avant de quitter Orsha, nous avons fait un grand brûlement. Des voitures, des carrioles mais aussi des documents. Même Davout a dû jeter au feu son courrier. Et nous avons abandonné des canons…
 

J’avais laissé les soldats de Ney face à toute l’armée ennemie. C’est alors que sous une grêle de boulets et de mitrailles, ce diable de prince de la Moskowa a pris son épée et qu’il a conduit le 3e Corps à l’assaut des lignes russes. Une charge furieuse qui a épouvanté l’ennemi. Puis ils ont profité de la nuit pour faire, sans bruit, marche arrière vers Smolensk…

 
23 novembre

J’avais repoussé jusque là le moment de vous raconter à quel point nous sommes habillés de manière ridicule, déguenillés, couverts de peaux de bêtes à peine écorchées, et la tête enchiffonnée pour se garantir du froid… Certains portent même des vêtements de femme… Mais ne le répétez pas. Il s’agit tout de même de la Grande Armée.

 Je vois que vous attendez la suite du récit des soldats du 3eCorps. Donc Ney était reparti vers Smolensk. Mais c’était une ruse. Comme de laisser des feux allumés et de marcher, en pleine nuit, à la muette, vers le Dniepr. Un fleuve qu’ils ont franchi l’un après l’autre sur une glace extrêmement fragile… Puis ils ont attaqué un village plein de cosaques qu’ils ont fait prisonniers. Avant de s’y reposer quelques heures…

24 novembre

Et voilà les hommes de Ney qui continue leur récit : après avoir franchi le Dniepr et vécu bien des drames, ils racontent qu’ils se sont à nouveau retrouvés face à des milliers de cosaques. « Ils sont à nous » leur a crié le Brave des Braves. Et ils chargé avec lui mettant l’ennemi en fuite. C’est ainsi, par une série de manœuvres aussi hasardeuses qu’héroïques que le prince de la Moskowa, que suivait naguère une armée, a réussi à sauver un millier de ses soldats.
 
 
On dit que Napoléon a fait brûler les Aigles de tous les Corps. Que les Russes ont pris Minsk et ses réserves. Et qu’ils ont détruit le pont de Borisov : c’était LE point de passage de la Bérézina. Nous avions bien vu que les officiers faisaient grise mine. Mais sans comprendre jusque là à quel point notre situation était désespérée…

25 novembre

 Le froid est de retour, moins vingt degrés, et notre marche est à nouveau périlleuse. Ainsi quand l’un des nôtres glisse, tombe et n’arrive pas à se relever, il peut se retrouver dépouillé de ses chaussures et vêtements par l’un de ses compagnons, alors qu’il n’est pas encore mort. Cela dit, s’il était mort, il serait gelé et on ne pourrait plus lui enlever ses vêtements et ses chaussures…

Au cours de cette retraite, nous avons vu des soldats crever de rire au sens propre. Vous marchez aux côtés d’un homme, ou alors il est assis à coté de vous au bivouac et d’un coup il semble comme frappé de folie : il se met à rire sans raison – le cerveau gelé ? - et il meurt…

 

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