Moi, François Louis Vandevoorde, fusilier au 21e régiment de ligne, je vais vous raconter ma Campagne de Russie. Conscrit de 1807, j'espérais retrouver les miens en ce début d'année 1812 après mes cinq années dans la Grande Armée. Mais je ne me fais plus d'illusions...
Toute l’armée s’inquiète de l’absence de Ney
qui ne nous a toujours pas rejoints. Il y a eu une distribution dont ont été
exclus ceux qui étaient sans arme. Et un soldat de notre division qui nous
appelait à nous rendre a été tué d’un coup de pistolet par le général Gérard.
Pan ! Il fait beaucoup
moins froid. Peut-être réussirons-nous à quitter la Russie avant les nouvelles
offensives de l’hiver russe. Mais nous causons surtout de Ney et du 3e
Corps. Ils nous ont remplacés à l’arrière-garde. Nous pourrions être à leur
place. Sont-ils retranchés dans Smolensk, tombés aux mains de l’ennemi, morts,
ou perdus quelque part dans la neige ? Il y a aussi des soldats d’autres corps
qui nous traitent de lâches pour ne pas les avoir attendus… 20 novembre
Il se dit que
Napoléon a donné l’ordre de fusiller ceux qui quittent les rangs. Je me demande
s’il y a encore assez d’hommes dans les rangs pour fusiller ceux qui en
sortent… Ceux qui ont vu
Davout à son arrivée à Orsha racontent qu’il était –comme nous – à bout de
forces. Qu’il s’est jeté sur un bout de pain. Qu’il a fallu lui donner un
mouchoir pour qu’il se nettoie le visage… Toujours pas de nouvelles de Ney.
Nous commençons à parler du 3e Corps au passé…
21 novembre
Depuis que nous
avons été alertés par les acclamations annonçant leur retour, la joie s’est
répandue de bivouac en bivouac… Et nous rivalisons en commentaires élogieux sur
un exploit digne d’entrer dans l’Histoire, peut-être le plus beau fait d’armes
de cette campagne de Russie. De quoi je parle ? De Ney qui a réussi à rallier
l’armée. Lui et ses hommes se sont retrouvés encerclés par tous nos ennemis
rassemblés. Et ils ont réussi à les berner et à s’échapper. Je vais aux
nouvelles et je vous raconte le comment… Les rescapés du 3e
Corps nous ont dit comment après avoir quitté Smolensk, ils s’étaient retrouvés
sur la neige rouge de sang du champ de bataille de Krasnoë. Qu’ils avaient cru
l’armée perdue ou toute entière vaincue. Que Koutousov avait envoyé à Ney un
émissaire pour lui demander de se rendre. Et que le Maréchal, sans barguigner,
l’avait fait prisonnier… Je crois qu’il va me falloir plusieurs veillées pour
tout vous raconter… 22 novembre Nous revoilà à l’arrière-garde. Mais
avant de quitter Orsha, nous avons fait un grand brûlement. Des voitures, des
carrioles mais aussi des documents. Même Davout a dû jeter au feu son courrier.
Et nous avons abandonné des canons…
J’avais
laissé les soldats de Ney face à toute l’armée ennemie. C’est alors que sous
une grêle de boulets et de mitrailles, ce diable de prince de la Moskowa a pris
son épée et qu’il a conduit le 3e Corps à l’assaut des lignes
russes. Une charge furieuse qui a épouvanté l’ennemi. Puis ils ont profité de
la nuit pour faire, sans bruit, marche arrière vers Smolensk… 23 novembre
J’avais repoussé jusque là le
moment de vous raconter à quel point nous sommes habillés de manière ridicule,
déguenillés, couverts de peaux de bêtes à peine écorchées, et la tête
enchiffonnée pour se garantir du froid… Certains portent même des vêtements de
femme… Mais ne le répétez pas. Il s’agit tout de même de la Grande Armée. Je vois que vous attendez la
suite du récit des soldats du 3eCorps. Donc Ney était reparti vers
Smolensk. Mais c’était une ruse. Comme de laisser des feux allumés et de
marcher, en pleine nuit, à la muette, vers le Dniepr. Un fleuve qu’ils ont
franchi l’un après l’autre sur une glace extrêmement fragile… Puis ils ont
attaqué un village plein de cosaques qu’ils ont fait prisonniers. Avant de s’y
reposer quelques heures… 24 novembre Et voilà les hommes de Ney qui continue
leur récit : après avoir franchi le Dniepr et vécu bien des drames, ils
racontent qu’ils se sont à nouveau retrouvés face à des milliers de cosaques. «
Ils sont à nous » leur a crié le Brave des Braves. Et ils chargé avec lui
mettant l’ennemi en fuite. C’est ainsi, par une série de manœuvres aussi
hasardeuses qu’héroïques que le prince de la Moskowa, que suivait naguère une
armée, a réussi à sauver un millier de ses soldats.
On dit que Napoléon a fait brûler les Aigles de tous les Corps. Que les
Russes ont pris Minsk et ses réserves. Et qu’ils ont détruit le pont de Borisov
: c’était LE point de passage de la Bérézina. Nous avions bien vu que les
officiers faisaient grise mine. Mais sans comprendre jusque là à quel point
notre situation était désespérée… 25 novembre
Le froid est de retour, moins vingt
degrés, et notre marche est à nouveau périlleuse. Ainsi quand l’un des nôtres
glisse, tombe et n’arrive pas à se relever, il peut se retrouver dépouillé de
ses chaussures et vêtements par l’un de ses compagnons, alors qu’il n’est pas
encore mort. Cela dit, s’il était mort, il serait gelé et on ne pourrait plus
lui enlever ses vêtements et ses chaussures… Au cours de cette retraite, nous avons
vu des soldats crever de rire au sens propre. Vous marchez aux côtés d’un
homme, ou alors il est assis à coté de vous au bivouac et d’un coup il semble
comme frappé de folie : il se met à rire sans raison – le cerveau gelé ? - et
il meurt…
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