Nous voilà enfin devant Smolensk. Mais les mots me manquent : il y a des cadavres partout. Sur les rampes du Borysthène que vous appelez peut-être le Dniepr, au pied des murailles, sur l’escarpement de glace qui conduit à la haute ville…Que s’est-il donc passé ici ? Je vous laisse, nous entrons…
Des soldats entrés dans Smolensk il y a deux jours nous ont tout raconté pêle-mêle; les grandes portes closes à ceux qui n’étaient plus enrégimentés, les bousculades, les bagarres, les hurlements et les morts. Puis la Garde a une nouvelle fois été la première servie : les biens nommés Immortels ont reçu des vivres pour quinze jours avant que les autres soldats n’obtiennent le moindre morceau de pain !!! Je promets demain de vous dire la suite…
12 novembre
Revu le sergent Bourgogne. Je lui ai dit nos malheurs. Il a été chercher une bouteille d’eau de vie et un petit sac de farine avant de me raconter l’accouchement il y a quelques jours, en pleine tempête de neige, de la femme de leur barbier. Il a ajouté que pour la protéger du froid ils avaient pris les capotes de deux soldats morts dans la nuit.
13 novembre
-25° ce matin et j’ai un peu de mal à écrire tant mes mains sont gelées. Mais je crois que je vais aussi vous glacer le sang avec ce récit. Alors que nous parlions une fois encore de boustifaille, un soldat d’un autre régiment a murmuré qu’il avait su que des blessés s’étaient nourris de la chair de leurs camarades morts… Il a tellement bien décrit comment ils avaient découpé des lanières de cuisses avant de les faire griller et de les mâcher qu’on l’a regardé avec effroi. Mais il nous a assuré que lui-même n’en était pas…
15 novembre
Nous quittons aujourd’hui Smolensk. Sur ordre de l’Empereur, nous n’emportons avec nous que les blessés qui peuvent se rétablir en une semaine. Les 5000 autres, en comptant aussi les malades, qui n’ont pas cette chance vont rester dans la place, abandonnés à la compassion de l’ennemi. Mais l’horreur atteinte par cette guerre est telle que je n’y crois pas du tout. Et eux non plus. Beaucoup de ces blessés qui craignent la vengeance des Russes se sont installés à la principale porte de la ville et supplient les conducteurs de traineaux ou les voitures de leur faire une place…
Certains d’entre nous se sont frottés avec ceux du 3e Corps tout juste arrivés à Smolensk. Ils nous accusaient d’avoir vidé les réserves. On raconte aussi que Ney s’est emporté face à Davout. Il se dit que nous ne partirons que demain. Que nous allons marcher vers Minsk, plus à l’ouest, où il y a un dépôt très important. C’est là que nous prendrons nos quartiers d'hiver.
16 novembre
Alors que nous marchions vers Krasnoë, nous avons entendu le bruit d’une canonnade très vive. C’était l’ennemi qui s’en prenait aux régiments de Broussier. Davout a envoyé notre division à leur secours. Nous avons fait au plus vite mais nous n’avons sauvé que quelques centaines de soldats. Ils disent qu’ils étaient trois mille quand ils ont quitté Smolensk.
Un capitaine du 30e de ligne qui a ramassé et protégé l’aigle de son régiment hier au cours de la bataille va être décoré… Non je ne sais pas ou est le nôtre. Et non nous n’avons pas de nouvelles de Ney. En l’attendant nous avons pris position à Dubrovna en avant d’Orsha. Pas de nouvelle de Ney.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire