23.10.12

La bataille de Maloïaroslavets

Avons été réveillés en pleine nuit par le bruit sourd d’explosions dans le lointain. On nous a dit que c’était le général Mortier qui avait fait sauter le Kremlin. Vive l’Empereur !

 Pauvres blessés dont les convois sont des cibles faciles pour les cosaques. Un infirmier m’a raconté que des ordres avaient été donnés pour leur évacuation. D’abord les officiers puis les sous-officiers. Et ensuite, la consigne est de préférer les Français.

 24 octobre

 
Il pleut toujours. Depuis que nous avons quitté l’ancienne route de Kalouga, nous avons plus de peine à marcher mais nous marchons. Mais beaucoup de voitures n’iront pas plus loin, les roues enfoncées dans le sable, les essieux brisés, impossibles à tirer par des chevaux déjà épuisés…

 Sacré nom de Dieu en avant ! Avec les soldats de Compans, nous de la division Gérard avons chargé dans l’enfer d’une ville en flammes nommée Maloyaroslavets. Une place déjà prise et perdue de multiples fois par les hommes d’Eugène, et les Italiens de Pino – des blancs-becs - et de la Garde royale. Mais nous avons réussi à placer des pièces en batterie en haut de la colline. L’ennemi est bien plus nombreux que nous…Et pourtant il commence à reculer…

 25 octobre


Je voulais vous raconter la fin de la bataille de Maloïaroslavets mais ce sera pour plus tard car ce matin l’ennemi a failli ce matin s’emparer de Napoléon ! Il était sorti à l’aube, à cheval, quand il s’est retrouvé au milieu de milliers de cosaques…Les officiers qui l’accompagnaient ont dû sortir leur sabre pour le dégager. Et une fois que l’Empereur a été tiré d’affaire, ceux qui étaient avec lui ont dit qu’il avait ri de cette mésaventure…

 
Je vois bien que vous attendez de connaître la fin de la bataille de Maloïaroslavets. Les Russes ont fui, mais j’espère que quand cette victoire s’écrira dans les livres d’histoire – quoiqu’avec un nom pareil c’est douteux – l’épouvantable tableau que nous avons trouvé au matin ne sera pas oublié : des corps broyés par les roues des canons puis brûlés par le feu mis par les Russes en évacuant la ville… A moins que ce ne soit la conséquence des tirs de boulets. Toujours est-il qu’ils ont fait retraite en abandonnant des milliers de cadavres et vingt pièces de canon et qu’il est bien difficile de comprendre pourquoi ?
 
26 octobre


Puisque nous sommes désormais l’arrière garde, nous avons regardé s’éloigner tous les autres soldats. Puis nous avons tiré au canon et allumé une ligne de feux de bivouac pour tromper l'ennemi. Nous ne sommes partis qu’ensuite…

 Les températures ont chuté et notre moral aussi : notre Corps, celui du maréchal Davout, a été chargé de former l’arrière garde de la Grande Armée…

 
27 octobre

 
Même si nous sommes partis bien après l’ensemble de la Grande Armée, nous avons rejoint très vite les trainards, les civils et les femmes, Françaises et des Russes, esclaves et volontaires… Il y a aussi ceux qui tiraient des charrettes voire même des brouettes… Et ceux qui commençaient à jeter sur les bas-côtés des tapis, des tapisseries, et des robes… Autant dire que question marche, nous sommes très loin du pas accéléré et même du pas de route…

 
J’avais gardé par devers moi le récit du sergent Bourgogne qui était de ceux qui ont secouru l’Empereur le 25 octobre à l’aube. Il m’a raconté qu’un des officiers s’était battu comme un beau diable avec les cosaques au point de perdre son chapeau et son sabre, qu’il avait attrapé une de leurs lances, et qu’à ce moment là, pris lui-même pour un cosaque dans cette mêlée, il avait été sabré par un grenadier à cheval de la Garde. Là encore c’est vraiment trop bête. Mais selon Bourgogne, ce courageux faux cosaque est toujours vivant.

 
28 octobre

 
Avons piétiné longtemps avant d’entrer à Vereïa, à dix lieues de Maloïaroslavets. Cette fois, ce n’était pas la faute des civils mais des voitures du prince Eugène…

Et nous sommes repartis, toujours aussi lentement, en essayant de faire avancer la masse de traînards qui se trouvent devant nous et que Davout ne se résout pas à abandonner… Comme les chiens de berger d’un immense troupeau… Le maréchal lui-même mettant parfois pied à terre pour rétablir l’ordre…

 29 octobre

Les Russes brûlaient tout devant nous quand nous marchions vers Moscou. Maintenant c’est notre tour à nous de l’arrière-garde. Nous incendions leurs villages et leurs châteaux aussi loin que possible de notre route, à droite comme à gauche. Et nous brûlons toute la nourriture et les fourrages que nous ne pouvons emporter, quand nous en trouvons… Il ne doit rien rester pour l’ennemi.

 Nous voilà arrivés à Borisov. Il commence à faire vraiment froid. Ceux des nôtres qui nous précèdent ne nous ont rien laissé. Ils ont dévoré la nourriture disponible et brûlé le reste sans penser à l’arrière-garde. Ceux qui étaient près de lui nous ont dit la colère du maréchal Davout.

 
30 octobre

 Cette nuit va être un cauchemar : nous bivouaquons sur le champ de la grande bataille près de Borodino. La puanteur est épouvantable. C’est celle de milliers de cadavres d’hommes, Français et Russes, et de chevaux; tous mutilés et déchiquetés peut-être par des corbeaux… Ils sont restés là où ils sont tombés il y a deux mois…

 
Nous sommes à moins d’une lieue de Mojaïsk. Mais il se raconte que là-bas, les employés des vivres vendent la nourriture au lieu de la distribuer… Trouver de quoi manger commence à devenir une obsession. Nous n’avions reçu que quatre jours de vivres en quittant Moscou il y a dix jours.

 

31 octobre

 

Très éprouvante cette marche à travers la plaine de Borodino. D’autant qu’il n’y a pas que les cadavres. Il y a aussi les blessés que nous avons laissés il y a deux mois dans le monastère de Kolotski. Ceux qui ne sont pas morts de faim se traînent sur le bord de la route, ils nous supplient de les emmener avec nous…

 

Nous allons coucher ce soir à mi-chemin de Gjatsk. Avec nous 500 blessés français entassés tant bien que mal sur les voitures de notre convoi. Nous ne pouvions pas les laisser mais nous avançons encore plus lentement. Il se dit que nous sommes maintenant à deux jours de marche de l’avant-garde…


 

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