7.10.12

Les blessés quittent Moscou

Ce n’est pas que j’ai beaucoup de religion mais j’ai été baptisé à la paroisse Saint-Etienne de Lille le lendemain du jour de ma naissance. Alors voir des églises transformées en écuries, ou entendre parler de soldats qui auraient déterré les os des tsars à la recherche de trésors, ça m’a comment dire, écœuré…

Je n’ai pas reçu de lettres ni de mon père, ni de ma fiancée. Ont-ils au moins reçu les miennes ? On dit que les estafettes ont de plus en plus de mal à atteindre les relais. Maudits cosaques.

8 octobre

Et si je vous disais que dans ce Moscou tout juste sauvé du feu, des comédiens français ont interprété le Jeu de l’Amour et du Hasard…Oui c’est du Marivaux. Et non je n’y étais pas mais j’ai vu le carton d’invitation. Et on m’a dit que c’était joué de façon très drôle. Si le théâtre ouvre ses portes, c’est peut-être que nous allons rester ?

9 octobre

Vous avez vu mon beau plumet blanc et noir? D’accord les puristes vous diront qu’il n’est pas réglementaire. Et encore moins pour un simple fusilier de la ligne. Nous les simples soldats de l’infanterie, nous devons porter des pompons ou houppettes. Mais en cette année 1812, en matière d’uniforme, le règlement…

Brossons nos uniformes et dérouillons nos fusils. Il nous faut de l’émeri et de l’huile d’olive - où trouver de l’huile d’olive à Moscou ? – car il ne faut pas employer de substances grasses pour les parties en cuivre qui peuvent s’oxyder. On dit que Napoléon va passer en revue le 1er Corps demain.

10 octobre
Nous avons vu passer ce que nous appelons les charrettes de la mort. Un premier convoi de 1500 blessés a quitté Moscou hier. Il était sous les ordres du général Nansouty, qui a été blessé à la grande bataille sur la plaine de Borodino.

La revue du 1er Corps c’est maintenant. Sauf pour nous. Napoléon verra demain notre division qui est commandée par le général Gérard depuis la mort de Gudin. Et nous sommes fin prêt. Enfin presque.


11 octobre

Voilà l’Empereur à son arrivée pour notre revue. Le maréchal Davout, visiblement guéri, l’accompagne. L’Empereur a tiré quelques oreilles et décerné plusieurs décorations. Je suis trop loin pour entendre ce qu’il dit à ceux qu’il a promus. Mais il a l’air très satisfait.

Qui va en tuer le plus ? Des Russes ? Non des poux ! Ces petits parasites qui se gorgent de notre sang nous les écrasons entre deux ongles car ils nous démangent, c’est insupportable. On dit aussi qu’ils peuvent causer des maladies mortelles. Est-ce que vous savez si Napoléon sait que le pire ennemi de ses soldats, ce sont les poux ?

12 octobre


C’est maintenant notre principal sujet de discussion à la veillée par ces soirées d’automne russe de plus en plus froides. Si nous partons, qu’est-ce que nous emportons ? Il va falloir choisir dans notre butin. Car nous ce que nous emporterons, nous devrons le porter…

Je vous ai déjà dit un mot de la mauvaise santé des chevaux ; ils sont atteints d’une maladie des intestins qui en tue plusieurs par jour. Ils tombent comme des mouches. Il ne resterait qu’un tiers de ceux qui ont passé le Niemen.

13 octobre

Regardez ce dur à cuire. C’est un sapeur qui a reçu la Croix des mains de l’Empereur. Il a sa vaisselle à l’air. Comme on le voit, il n’en pense pas moins. Et il en a des histoires sans fin à raconter aux blancs-becs et autres…Mais si ça barde, il sait quoi faire…

Il neige ! Quelques flocons sont tombés sur Moscou. Est-ce le début du terrible hiver russe ?

14 octobre

Davout a réuni les chefs de corps. Il parait qu’il les a interrogés sur les moyens d’habillement et de subsistances. Je ne sais pas si c’est pour rester ou pour partir mais tout cela semble lui causer beaucoup de soucis…

On raconte que l’ordre a été donné d’arrêter à Smolensk tous les convois montant vers Moscou. Donc nous partons ?

15 octobre

Croisé à l’instant un Henri Beyle tout énervé qui m’a raconté qu’il avait résisté comme un diable à un ordre d’aller à Smolensk s’occuper de l’approvisionnement de réserve. Il dit qu’il a très mal aux dents et qu’il est malade. Et il insiste pour ceux qui n’auraient pas compris : « Tout le monde s’en apercevra bientôt si je ne trouve les moyens de me faire un ou deux pantalons ». Ce ne serait pas de la faute des poux mais de l’eau…

La neige qui était tombée a déjà fondu. Pas si terrible, l’hiver russe

16 octobre

Je suis resté un bon moment à regarder les sapeurs de la Garde impériale qui décrochent les aigles impériales russes du haut des tours du Kremlin. Pour les souvenirs aussi il est trop fort, l’Empereur.

Il a eu beau pester, Henri Beyle a quitté Moscou. Il est parti avec un convoi de blessés en direction de Smolensk.
17 octobre

Vous savez pourquoi appelle les convois de blessés les charrettes de la mort ? Parce que beaucoup vont casser leur pipe pendant le transport. Et je ne parle que de ceux qui ne sont pas déjà morts. Ainsi trois mois après une bataille, un sixième des blessés seulement le serait toujours. Certains sont guéris et ont repris leur place parmi nous. Et pour les autres, nous parlons de troupiers refroidis chargés de commission pour l’autre monde…


Le sergent Bourgogne m’a reçu dans ce qu’il est impossible d’appeler un bivouac. Il y avait sur le sol des fourrures d’hermines, de loups et même de lions. Et il m’a fait boire du punch au rhum de la Jamaïque en parlant du plaisir que nous aurions à retourner en France…





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