4.10.12

Le plus bel incendie du monde

Le plus beau moment de notre campagne de Russie? Quand nous avons découvert à la mi-septembre depuis une hauteur la capitale de la Russie et ses mille clochers en or... Notre fierté nous fait tout oublier, les marches interminables, la faim, les morts…Toute ma vie je pourrai dire: moi Vandevoorde, natif de Lille, j’étais de l’armée qui a conquis Moscou.

Puis tout est allé de mal en pis. Non seulement les Russes ont quitté la ville sans se rendre - Napoléon a attendu en vain que des boyards lui en apportent les clés - mais ils y ont mis le feu. L’Empereur lui-même, le Kremlin cerné par un océan de flammes, a dû fuir à pied, dans une chaleur brûlante, en se protégeant le visage et les vêtements des flammèches. Il a tellement tardé à partir qu'il aurait pu y perdre la vie ont raconté ceux d’entre nous qui se sont précipités à son secours avec le maréchal Davout pourtant toujours blessé…

C’est une bien vilaine chose qu’une ville qui brûle. Et quand nous sommes entrés dans la capitale de la Russie, le 21, notre rêve était passé : façades des palais noircies, maisons brûlées qui fument encore, débris de toutes sortes, cadavres des incendiaires attaqués par des corbeaux, et tout cela puait horriblement.

Nous nous sommes installés dans le faubourg de Kalouga qui n’a pas brûlé et dans un tiers de la ville du coté de Kalouga et de Toula. Et nous y sommes toujours.
Seul le colonel François Parguez, l’aide de camp de Morant, a trouvé le moyen de nous faire rire. Il a raconté qu’il avait tenté de rassurer son épouse en lui écrivant ces quelques lignes : «La prise de Smolensk, la prise de Moscou et toutes les prises que j’ai faites ne doivent pas t’inquiéter plus que celles que je prendrais si j’avais du tabac dans ma tabatière...»

Davout, je vous l’ai déjà dit, a été blessé pendant la grande bataille où nous nous sommes chauffés avec les Russes sur la plaine de Borodino. Blessé où ça ? Au bas-ventre… Ce qui a fait sourire certains… même si nous sommes tous très attachés à notre Maréchal qui est tout de même resté avec nous ce 7 septembre 1812. Car comme il le dit souvent : «Un Maréchal ne doit quitter le champ de bataille et son commandement que lorsqu’il n’a plus de tête.»

Puis notre Grande Armée a commencé à se décomposer : beaucoup de nos soldats soûls comme des Suisses, ont abandonné leur uniforme et revêtu des fourrures, des habits chinois et turcs et autres tenues extravagantes… Puis nous sommes tous devenus de vulgaires pilleurs. Et moi aussi. Car comment résister à de telles tentations après de telles privations ? Si les maisons ont brûlé, comme les boutiques, leurs caves sont pleines de bouteilles de vin de bière de liqueur mais aussi de jambons de poissons de farine de fruits confits et nous voilà tous comme des enfants devant ces trésors…Jusqu’à pour certains à déterrer dans l’église du Kremlin les os des tsars à la recherche de trésors. Moi qui n’ai pas beaucoup de religion, ça comment dire, écœuré… Et Si je vous disais qu’au Kremlin, des fantassins ont dû payer 5 francs à des grenadiers et à des chasseurs à pied de la Garde pour pouvoir conserver les quelques subsistances qu’ils y avaient trouvées.

Ceux qui sont passés devant le Kremlin et ont repéré le bureau de l’Empereur assurent qu’il ne cesse de travailler pour nous. En témoignent les deux chandelles allumées jours et nuit à sa fenêtre… Mais selon un camarade qui sert au Kremlin et je ne sais pas s’il faut le croire, il ne sait plus trop quoi faire aujourd’hui. Il réuni ses maréchaux en ce début octobre puis les aurait congédiés, irrité qu’il était de leur rejet de son nouveau plan de conquête de Saint-Pétersbourg.

J’ai quand même fait des connaissances intéressantes. Celle d’un curieux garçon nommé Henri Beyle. Il n’a pas trente ans, il est à l’intendance, et il tient des propos cocasses. Il m’a affirmé que l’incendie de Moscou était le «plus bel incendie du monde» dont il aurait pu «jouir» s’il avait été «seul ou entouré de gens d’esprit…» Et d’un sergent Bourgogne de la Garde impériale qui, vous ne voudrez sans doute pas le croire, a organisé un soir un bal costumé. Imaginez ces grands gaillards de la Garde impériale dansant, en mesure, sur «On va leur percer le flanc», habillés en boyards russes et en marquis.

Enfin d’un compagnon qui a son frère dans la cavalerie : beaucoup de chevaux sont si affaiblis qu’on ne peut les lancer au galop. Eux aussi méritaient un peu de repos. Mais ils sont toujours à l’avant-garde avec Murat. Lequel a failli être fait prisonnier. Tombé dans une embuscade, il a dû se réfugier dans un carré d’infanterie. Nous, ça nous a bien fait rire. Lui qui s’était persuadé que les cosaques le voulaient comme chef ! Car pendant ce temps là, nos ennemis continuent à nous harceler…

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