29.7.12

Nous tombons comme des noix

Je vous écris trois jours après un grand combat à Vitebsk. Il a commencé vers 2h du matin et dura jusqu’au soir sans discontinuation. Le lendemain, notre division a tourné la gauche des positions russes…Mais les soldats du Czar se sont à nouveau dérobés… Si vous vous dis que je n’ai pas encore tiré un coup de fusil?

Il faut que je vous raconte que notre division, celle du général Gudin, a reçu l’ordre à la fin du mois de juin de passer le pont de la Vilnia pour se mettre à la disposition du maréchal Murat. Nous qui respectons beaucoup le discret maréchal Davout, nous voilà sous les ordres du «roi Franconi ». Mais oui Franconi comme cet écuyer du cirque de Paris, parce que le roi de Naples est un cavalier que tous admirent mais aussi - surtout ? - parce qu’il est réputé pour ses uniformes extraordinaires…

Davout est donc parti de Wilna pour se mettre à la poursuite de Bagration vers le sud-est. Il pris Minsk et Borissow avant de rosser ce général russe à Mohilev. Sans nous. J’enrage.
Et pendant ce temps, avec mes camarades de la division Gudin, nous avons pris position à Ouchasseh. Je vous entends rire : «Oucha?» Et n’essayez pas de nous trouver sur une carte, enfin pas avec cette orthographe. Je l’ai écrit comme on nous l’a dit…et pas avec les drôles de petits caractères des gens d’ici…

Puis nous avons poursuivi les forces de Barclay de Tolly vers le nord-ouest. Nous ne l’avons pas rattrapé malgré une poursuite épuisante. Il se dit que la division a déjà perdu 4000 hommes, des malades, des déserteurs et autres maraudeurs… Napoléon a donné des ordres, que les soldats coupables de pillage ou de maraudage «sur les derrières de l’armée», qui «déshonorent le nom français», doivent être arrêtés, jugés en cour martiale et fusillés !!! Mais je croyais que vivre sur les ressources du pays, comme ils disent, c’était les consignes ?

Un cosaque est tombé entre les mains des cavaliers du 3e chasseurs. Ils l’ont «démonté puis envoyé à pied à Wilna pour y être interrogé".
Le 15 de ce mois de juillet, des soldats du général russe Wittgenstein sont sortis de leur camp retranché de Drissa pour attaquer par surprise la cavalerie légère commandée par le général Sébastiani de la Porta – un Cousin de l’Empereur. C’était l’avant-garde de Murat. On dit qu’il y a eu des pertes assez considérables, que les cavaliers avaient dû mettre pied à terre, et fuir en traînant leurs chevaux exténués par la bride. Ne vous inquiétez pas pour nous. La division Gudin était encore à Orcha avec Murat lui-même.

Sous cette chaleur, Nous tombons comme des noix... Et bien l’Empereur qui se soucie de ses soldats a ordonné le repos de l’armée. Le cours de la Düna et du Borysthène vont marquer la ligne française. Nous avec Murat allons être cantonnés depuis Orcha et Dubrowna jusqu’à Vitepsk et Sauraij…

Voilà-t-il pas que les Russes nous ont envoyé un message pour dire qu’ils ne fuyaient pas devant nous...Qu’ils allaient accepter le combat et que notre retraite sera difficile… «Où avons-nous battu en retraite devant vous?» s’est moqué un grenadier…

J’ai profité de ce cours répit pour vider mon havresac. L’oncle d’Armentières ne reconnaitrait pas son Voltaire gondolé par la pluie et la chaleur. J’ai tout de même retrouvé Charles XII et ses soldats en juillet 1709 un peu plus au sud d'ici, à treize grandes lieues du Borysthène quand même…Il va y avoir une grande bataille pour prendre la ville de Pultava ou Poltava et ses abondantes réserves de vivres. Les soldats regardaient cette prise «comme la fin de toutes leurs misères» écrit Voltaire. Je vous en recauserai…

En attendant, l’un d’entre vous peut-il transmettre à mon père qui habite rue Lepelletier à Lille ce commentaire du général Armand-Augustin Caulaincourt après nous avoir vu, nous, les soldats de Davout franchir le Niemen, le 24 juin dernier: «Les hommes du 1er corps étaient remarquables par leur excellent comportement et leur tenue exemplaire. Sortant de leurs bons cantonnements, aguerris aux ordres d’un commandant qui les avait entraînés longtemps et efficacement, ils pouvaient rivaliser avec la Garde.»

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